Le château actuel est bâti en 1632 par Jean Beuzelin sur les ruines du château fort, dont on retrouve encore de nos jours les fondations dans les caves. L’ample architecture de la bâtisse symbolise l’élévation sociale de cet homme, né en 1602 (de Gilles Beuzelin et de Marie Puchot, fille du seigneur de la Pommeraye et héritière du fief du Bosmelet).
L’ascension de la famille se poursuit à la génération suivante lorsque son fils, devenu Président à mortier du Parlement de Rouen, épouse en 1661 Renée Le Bouthillier de Chavigny, fille d’un secrétaire d’Etat de Louis XIII. Le couple a une fille, née en 1668, Anne-Marie Beuzelin de Bosmelet (dont le portrait, peint par François de Troy, est exposé au Musée des Beaux-Arts de Rouen). Mme de Sévigné mentionne dans sa correspondance cette jeune femme qui est un des plus beaux partis de France :
« On dit aussi que M. de Poissy épouse Mlle de Bosmelet, qui aura un jour soixante mille livres de rentes. » (25 mars 1695)
« Le comte de Lux, à qui le Roi, selon la promesse qu’il en avait faite à feu M. le maréchal de Luxembourg, a accordé un brevet de duc, épouse toujours, dit-on, Mlle de Bosmelet, avec quatre cent mille francs présentement et trois cent mille francs d’assurés, mais ce mariage pourtant n’est pas encore fait ; la demoiselle me paraît assez déplaisante, et la famille de Luxembourg, dit-on encore, n’est pas bien charmée de cette alliance. » (3 février 1696).
Mme de Sévigné fait enfin part à son amie Mme de Coulanges de ce qu’un mariage est annoncé avec Henri-Jacques Nompart de Caumont (1675-1726), duc de la Force, dernier descendant de François de Caumont, assassiné à la Saint Barthélemy. La célèbre épistolière note avec l’esprit piquant qui la caractérise, mais aussi avec une pointe de malveillance, la différence d’âge entre les futurs époux, alors que l’héritière – dont Saint-Simon, qui relatera dans ses Mémoires son mariage, dit qu’elle est « extrêmement riche » – n’a que sept ans de plus que son promis :
« On parle aussi [du mariage] de Mlle de Bosmelet avec le jeune duc de la Force, qui serait bien son fils. » (20 février 1696)
Le duc, Gouverneur de Normandie, fait partie des favoris de Louis XIV qui signe lui-même en 1698 son contrat de mariage (conservé à la Bibliothèque nationale de France). Il est choisi pour être tuteur du jeune Louis XV, devient Vice-président du Conseil des finances en 1716 avant de finir sa vie loin de la cour après son implication dans la banqueroute du financier Law, en 1721. Les fastes du château sont à leur apogée : le couple entreprend de grandes modifications et fait appel en 1715 à Colinet, Premier Jardinier de Le Nôtre au château de Versailles, pour l’élaboration d’un jardin à la française. Deux projets, dont les plans subsistent, sont présentés aux époux. Le parc actuel en conserve la structure centrale basée sur un tapis vert de plus de deux kilomètres, encadré au nord par une double haie de tilleuls plantée en 1718, unique en Europe de par leur âge, leur nombre et leur hauteur.
Le château était entouré d’une orangerie, une chapelle, un grand pigeonnier de forme ovale, symbolisant la puissance de la famille, et de grandes écuries abritant jusqu’à 99 chevaux. Le duc et sa femme souhaitent transformer et agrandir le château pour le métamorphoser en un immense édifice de pierre blanche dans la mode de l’époque, à l’image des modifications qui touchent Versailles. La mort du duc en 1726 met un terme à ces projets architecturaux. La duchesse s’éteint en 1752 sans descendance directe. Le château passe en héritage à Antoine Auguste Thomas du Fossé, qui épouse Catherine Lemaître de Sacy, nièce du Grand Arnaud, célèbre théologien janséniste, et de sa sœur, la non moins célèbre Angélique, abbesse de Port-Royal. La famille se tourne tout entière vers le jansénisme : le plus célèbre de ses membres, Pierre Thomas, collabore avec Lemaître de Sacy à la traduction de la Bible de Port-Royal dont il termine la rédaction à la mort de son ami. La famille est inquiétée en raison de son "hérésie". Certains sont bannis par Louis XV et fuient en Hollande, d’autres sont embastillés. Le château de Bosmelet conserve trace de l’orientation religieuse de la famille, avec une collection riche en ouvrages jansénistes.